mercredi 2 octobre 2013

Combat de perspective(s).

    Le cadre, en peinture ou en photographie, voilà le tout. Il est à lui seul la limite d'une œuvre d'art, c'est l’élément "crucial" pour reprendre l'expression de Bacon, car tout se décide à partir de celui-ci.  Ce "tout" c'est-à-dire l'harmonie. C'est elle qui marque notre première rencontre avec l'œuvre. Par sa justesse, elle a le pouvoir de saisir notre regard, de le plonger, et de le prolonger, au travers d'elle, de l'installer comme un auditeur-visuel de ce qu'elle a "à dire". C'est donc l'un de ses outils de communication, les autres constituant le reste de l'œuvre elle-même. Car l'œuvre toute entière "fonctionne" comme un système ; un système formé par l'ensemble des marques dont l'auteur s'est servi (un trait, une touche de couleur, ou même un éclairage...).
   Pour comprendre les enjeux faisons un peu d'histoire de l'art et remontons à "l'invention de la perspective". Elle apparaît sous sa forme dite "classique", celle qui sera la plus usitée, en 1344, Ambrogio Lorenzetti peint L'Annociation, entre l'Ange Gabriel et la Vierge Marie il place la croix du Christ et le point de perspective. Il invente ainsi une nouveau procédé, la perspective mono focale, l’œil du spectateur est immédiatement saisit par la croix du Christ pourtant fondue dans l'or du mur. La jonction des deux bois forme le point de fuite. Toutefois il faut préciser qu'il existait avant Lorenzetti, et qu'il existe encore d'autres types de perspectives, fonctionnant différemment, mais celle de Lorenzetti sera la plus utilisée jusqu'à nos jours. Pour comprendre les raisons il suffit de voir avec quelle puissance elle arrive à saisir le regard du spectateur, elle rend ce dernier immobile. D'où son importance, cela place le spectateur dans une attitude de contemplation vis-à-vis de l'œuvre, et donne un caractère encore plus majestueux aux paroles de l'Ange Gabriel pour Marie. Sempiternelle preuve que l'œuvre d'art ne se laisse pas interpréter n'importe comment, l'interprétation est loin d'être subjective, c'est l'œuvre qui nous guide; elle nous donne les clefs de sa lecture.
    Ici l'on a affaire à un "combat de perspectives". Les lignes majeures que tracent la cime des arbres, et les allées du jardin convergent toutes vers le Panthéon au loin, théorique seul point de fuite au premier coup d’œil. Seulement il y a L'Acteur grec de Charles-Arthur Bourgeois, qui dans son attitude antique, rompt les lignes de perspectives du côté gauche. Le génie de l'auteur aura été de lui conférer cette attitude toute kinesthétique, que l'on imaginerait aisément une scène sous les pieds de cet Acteur. De surcroît, la verticalité qu'impose son piédestal aux lignes obliques des arbres et des allées, empêche le fonctionnement total de celles-ci. Le Panthéon n'est plus le point de fuite que l'on a cru voir au premier coup d’œil. Non, il faut aller chercher le point de fuite plus en hauteur encore. Il y a désormais de nouvelles lignes sous notre regard opiniâtre : le piédestal, le corps de l'acteur, et plus encore ses bras, et les branches obliques des arbres se supplantent aux anciennes lignes. Et notre regard converge alors vers le haut de l'image, et suivant le regard de ce Grec on ne peut s'empêcher de regarder alors le parchemin qu'il tient entre ses doigts, et qu'il semble lire de manière si calme que l'on se demande s'il a la moindre idée du combat qui vient de se jouer derrière lui. Il semble marcher là, impunément, lisant son billet, plein de "présomption". Quelle victoire a eu ce héros, ignorant qu'il est? Relevant son masque comme si le combat était achevé, lui n'ayant rien fait, fier et insouciant. Mais peut-être que le combat qu'il semble n'avoir pas vu derrière son masque, peut-être nous-mêmes nous l'a-t-il caché? Derrière son piédestal, il y a ce Panthéon, si verticale, qui de toute sa hauteur semble s'incliner devant la suprématie de ce Grec, lui qui ayant levé son masque semble descendre comme le Deus ex machina sur cette scène, où tout semblait pourtant déjà être joué, comme immortalisé dans ce parchemin, et dans ses traits si présomptueux, qui laissent penser que lui seul savait. Il savait que le point de fuite ne se trouverait pas dans les pierres mortes du Panthéon, mais bel et bien dans sa parole même, immortalisée dans cette pierre, qui s'inscrivant comme point de fuite devient alors la chose que Daniel Arasse aime à appeler "la chose qui cesse d'être pour être en Dieu".
   Finalement il ne s'est joué ici qu'une lutte picrocholine, où un acteur seul a joué sous nos yeux, un combat de perspectives.


Marvin Lawson-Body.




 

©Marvin Lawson-Body

samedi 3 août 2013

Truth is in Pictures.

   On a tous une photo qui traîne par-ci par-là, une photo qui nous rappelle un bon moment, un souvenir, quelque chose que nous voulions ne pas oublier, une pensée, une émotion, un sourire - oui d'ailleurs surtout un sourire. Comme si le papier une fois imprimé de l'encre devenait autre chose, un aide-mémoire, une substance à lui tout seul; comme si le papier trouvait là dans les couleurs une condition nécessaire à son achèvement. De manière telle qu'à la blancheur essentielle de la feuille viennent nécessairement se fondre les couleurs naturelles du monde. Alors l’œil qui se fait peintre, dessinateur, et sculpteur, celui-ci qui se joue des substances, des ombres et des couleurs, imprime sur ce petit morceau de papier une vérité. L’œil a vu, il s'agit désormais de faire voir. 
  Oui car chaque chose n'existe que parce qu'elle est vue. Si je détourne le regard, si je l'oublie, si le temps efface son empreinte, alors cette chose là aura disparu, elle se sera dissoute. Là est le rôle de l'image, elle donne à voir, mais à voir quelque chose de réel, de vrai. 
  Et quand à savoir quelles sont les vérités ici, je vous laisse les découvrir, et lorsque vous les aurez vues, alors là seulement pensez à les regarder.



Marvin Lawson-body.















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